Yona Yahav : etre maire a portee des Katioucha
LE MONDE | 17.08.06 | 14h18 Mis a jour le 17.08.06 | 14h18


Au loin, l'etendue plane de la mer Mediterranee s'estompe dans les brumes de chaleur. Debout sur les hauteurs fleuries de
sa ville, d'ou s'offre un panorama a couper le souffle, Yona Yahav reve a voix haute. Haifa a vocation a etre le debouche
maritime de la Jordanie et de l'Irak. Yona Yahav en avait, des projets. La grandeur attendra : le port de Haifa est desert,
quais fantomes et grues immobiles.
Le maire glisse la main dans sa poche et en extrait une bille, minuscule et meurtriere. Il la fait rouler entre le pouce et
l'index. Voila ce qu'on a recu tous les jours, dit-il dans un sourire las. Quand elles explosent au sol, les roquettes liberent
20 kg de ces fragments de plomb. Alors, forcement, Haifa s'est videe. A portee des Katioucha des miliciens du Hezbollah,
dissimules par-dela la frontiere avec le Liban - a 40 km plus au nord -, visee quotidiennement un mois durant, la troisieme
ville d'Israel s'est comme petrifiee. Depuis le cessez-le-feu du 14 aout, l'espoir renait. Les dizaines de milliers d'habitants
qui avaient fui plus au sud commencent a revenir. Mais quid des songes de grandeur ?
Le timonier, qui est reste sur le ponton sous les roquettes, secouriste en chef courant de foyers en crateres, est un drole de
gaillard. Volubile, bonhomme, Yona Yahav avait les tempes deja bien blanches, mais il s'est fait du mouron. Il est
amoureux de sa ville et, pour cette raison precise, il revait de la conquerir des l'age de 12 ans. Il souffrait tant de la voir
outragee par les Katioucha que, si un baquet de fleurs se trouvait grille par les flammes, il le remplacait dans les trois
heures, maniere de clamer au monde : La vie a Haifa continue ! A chaque deflagration, les secours debarquaient meme si
vite qu'il y avait quelque chose de suspect dans leur celerite. Je vais vous faire une confidence, souffle Yona Yahav. On etait
prepares. La municipalite avait prevu la crise. Tous les services - armee, police, pompiers, hopitaux - s'etaient
prealablement entraines dans des exercices de simulation. On ecarquille des yeux incredules. Yona Yahav aurait-il ete le
seul en Israel a avoir anticipe les pluies de Katioucha ? Le maire rigole, goutant son effet. En fait, on avait travaille sur le
scenario d'un tremblement de terre. Bon, a la place, on a eu un seisme de Katioucha. Mais on etait prets.
Yona Yahav le prevoyant s'est donc depense sans compter. C'est un affectif, genereux en diable. Les habitants, ceux qui
sont restes a demeure, alternant aventures prudentes sur le trottoir et plongees dans les abris quand les sirenes vrillaient la
chaleur de l'ete, l'admettent volontiers. Mais ils ajoutent aussi que l'edile au combat se laissait parfois submerger par
l'emotion et, du coup, s'egarait dans la confusion. C'est que les Katioucha, etalees sur un mois, sont bien plus pernicieuses
qu'un bon gros seisme. Et la, le maire n'avait pas de plan.
Un jour, il disait : Ne sortez surtout pas, c'est trop dangereux, raconte un resident. Puis, un autre jour, il donnait la
consigne contraire : Sortez, conservez vos habitudes. Trop sensible, il peinait a suivre une ligne fixe. Cela dit, tout le monde
reconnait ici qu'il s'est vraiment occupe des gens.
Yona Yahav est ainsi. Son parcours est tisse de lignes fixes et brisees qui resument a leur maniere les dilemmes d'Israel. Ne
a Haifa d'un pere allemand et d'une mere polonaise ayant fui l'Europe des 1932 a bord d'un bateau parti de Genes - mon
pere a senti tot que les choses allaient mal tourner pour les juifs-, Yona Yahav, etudiant en droit, a debute son combat
politique a la gauche de la gauche. De cette epoque, il a conserve sa ligne fixe : Israel doit restituer les territoires occupes
aux Palestiniens, qui ont le droit d'avoir leur Etat a cote du notre. Les Palestiniens sont les juifs du monde arabe. Ils
seraient capables d'edifier la premiere democratie du monde arabe. Pour cette raison, il a approuve le retrait de Gaza et
plaide pour le desengagement de la Cisjordanie. Il appelle meme - sacrilege aux yeux de beaucoup d'Israeliens - a discuter
avec le Mouvement de la resistance islamique (Hamas) ! On negocie toujours avec ses ennemis, pas avec ses amis !
Yona Yahav tient pareilles convictions de l'experience de Haifa, ou Juifs et Arabes cooperent sans mal, meme si on reste
encore loin du mythe de Haifa modele de coexistence que propage la mairie. Les relations sont ici bien moins conflictuelles
qu'ailleurs en Israel, explique le sociologue Sami Samoha, professeur a l'universite de Haifa :  Cela tient a des
particularismes locaux, comme l'heritage d'une forte implantation du Parti communiste israelien, qui pronait la
coexistence.
La communaute arabe de Haifa a su developper une classe moyenne exposee a de multiples contacts avec les juifs sur les
lieux de travail. Mais de la a parler d'un modele, c'est aller un peu vite, estime M. Samoha. Juifs et Arabes continuent de
reagir differemment aux crises qui secouent Israel. Soit. Le maire y croit neanmoins. Et il ne demord pas de cette ligne fixe.
Mais le Liban, c'est different. C'est sa ligne brisee, pulverisee meme. Le Liban m'a trahi;, gronde-t-il, l'oeil noir. Yona
Yahav fulmine, car il fut naguere un militant actif du retrait de Tsahal du Liban sud. Il avait mene le combat au sein d'un
mouvement partisan d'un desengagement unilateral, allant meme jusqu'a nouer des contacts indirectsavec le Hezbollah via
des canaux secrets qu'il ne veut toujours pas reveler. Et ce combat a ete couronne de succes puisque l'armee israelienne a
quitte le Liban sud en 2000.
Son depit a donc ete violent quand les Katioucha ont commence a pleuvoir sur Haifa. Au lieu de construire leur pays, les
Libanais ont laisse se developper un Etat dans l'Etat, le Hezbollah, qui accumulait un arsenal pointe vers Israel. C'est peu
dire qu'il a approuve la guerre au Liban. Il l'a encouragee, soutenue, car les miliciens du Hezbollah sont a ses yeux les
nazis du Moyen-Orient. Depuis l'entree en vigueur du cessez-le-feu, il est perplexe. Il veut y croire, mais s'interroge : Si le
Hezbollah n'est pas reellement desarme, une nouvelle guerre est inevitable. Et Yona Yahav sait humer les catastrophes,
meme s'il se trompe parfois sur la forme qu'elles peuvent prendre.


Frederic Bobin

Parcours
1944 : Naissance a Haifa.
1970 : Diplome en droit de l'universite hebraique de Jerusalem.
1977 : Publie Anatomie d'une defaite, sur celle du Parti travailliste.
1996 : Elu a la Knesset sous l'etiquette du Parti travailliste.
2003 : Elu maire de Haifa, soutenu par la formation centriste Shinoui.
2006 : Quitte le Parti travailliste et rejoint le mouvement centriste Kadima.

Le Monde
Article paru dans l'edition du 18.08.06
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Le maire de Haifa, Yona Yahav